LE BLOGLE BACKSTAGE

mercredi 13 août 2014

La parisienne


Je remonte la rue piétonne de ma petite ville.


- S’il vous plaît…
Elle est grande, stature un peu imposante. Une coupe de cheveux sympa, un châtain lumineux, certainement un balayage : elle a dû passer un petit moment entre les mains d’un bon coiffeur. Bien habillée, elle porte le genre de vêtements qui sort de l’ordinaire, du banal. De la marque, comme on dit par ici. Moi je préfère dire que sa jupe est jolie : je l’ai reconnue, collection été 2014 de La fiancée du Mékong, je l’ai vue sur leur site.

- Je peux vous poser une question ?
La voix est posée, assurée.
- Bien sûr !
J’ai mis dans ces deux mots mon plus gracieux voire irrésistible sourire.
- Où se trouve le centre-ville ?
- Je vous demande pardon ?

Nous sommes au beau milieu de la rue piétonne et si elle pense trouver mieux ailleurs, elle se fourre le doigt dans l’œil. Bleu, vert, noir, jaune, rouge, borgne ? Je ne sais pas, elle se camoufle derrière de grosses lunettes de soleil.
Mais peut-être cette créature luxueuse se moque-t-elle de moi ?
- … le centre-ville ? Vous savez l’endroit où se trouvent tous les commerces d’une ville ?
Elle détache chaque syllabe comme si j’étais une demeurée.

Dans le meilleur des mondes, je suis censée lui répondre que nous nous trouvons au centre-ville, ce point névralgique lieu de toutes les convoitises marchandes. Mais j’avoue qu’elle m’a agacée à me prendre pour ce que je ne suis pas. Alors je réfléchis chouia : je ne vais pas stopper ainsi cette charmante conversation par un brutal « beh c’est ici… ». Je sens que je peux mieux faire.

- … elle est jolie votre jupe… j’aime beaucoup !
Elle me balaye du regard de haut en bas. Je l’entends penser comme si j’étais elle : jour de l’inspection des ploucs, voyons un peu comment ils s’habillent dans ce trou. Bon, celle-là, ce n’est pas trop mal. Robe plutôt seyante… Et oui, ma chérie, aujourd’hui avec ma petite robe colorée, je n’ai rien à envier à ce que tu portes !

- Vous l’avez achetée par ici ?
Je sens flotter autour de ma personne un flux d’ondes de mépris – non… de condescendance, de commisération. Oh que j’aime ces mots pour tout ce qu’ils contiennent de vécu ! –, et je vois sa bouche se tordre dans un rictus.
- … mais non !
Rictus rime avec grincement de dents (blanches).
- … à Paris, évidemment !

Quelle évidence. Mais bien sûr ! Comment ai-je pu me fourvoyer ainsi ? Provinciale inepte que je suis…
- Vous êtes parisienne ?
Je glisse dans ma question un soupçon d’admiration. Je traîne sur le –zzzzienne… suffisamment pour qu’elle se sente flattée. Enviée. En général, ça marche à tous les coups. Il suffit d’y mettre le bon ton, limite obséquieux. J’ai gagné : elle se rengorge à vue d’œil, elle est fière la bougresse.

- Oui, je suis parisienne.
Et moi j’ai l’esprit d’escalier.
- Alors si vous êtes parisienne, vous avez une voiture…
J’enchaîne sans temps mort.
- Où êtes-vous garée ?
Allez, viens par ici que je t’embrouille, la parigotte.
- Sur le parking au bout de la rue…
Ce n’est pas un parking, espèce d’idiote, mais la plus grande place de notre petite ville. Notre centre-ville !

- Très bien… Venez que je vous explique … Considérons qu’ici, nous nous trouvons dans les faubourgs de la ville…
Et là, je ne sais pas ce qui me prend mais je suis submergée par les délires d’une imagination foisonnante. Débordante. J’invente des rues, des magasins, des jardins publics avec des fontaines, des terrasses de café, des restaurants, un complexe multimédia …
- Parfait, parfait… Vous êtes bien gentille !
Elle doit vouloir dire aimable, la petite cocotte …

- Alors vous avez bien compris, vous reprenez votre voiture, première à droite puis au deuxième rond-point, suivez la direction centre…
- Merci, merci…
- Oh non surtout ne me remerciez pas, c’était avec grand plaisir !

24 heures après, je ne sais toujours pas ce qui m’a pris. J’espère simplement qu’elle est bien arrivée… à Paris !

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