LE BLOGLE BACKSTAGE

mardi 2 juin 2015

Je suis une fille du Distilbène


Je viens de lire un article sur le scandale des bébé Dékapine.
Qui a tort ou raison ? Le laboratoire Sanofi ou les plaignants dont les bébés nés sous ce médicament présentent de graves malformations… Je ne sais pas mais je ressens toujours un profond malaise à la lecture de ce genre d’information.
Parce que moi je suis un bébé Distilbène, une fille DES ou une fille du Distilbène, au choix.
(A lire une synthèse sur le sujet ici.)
Je l’ai appris, je devais avoir un peu plus de 20 ans. Lorsque ma mère a commencé à me parler, j'ai senti à son ton qu'elle cherchait à me protéger, me ménager. J'ai éprouvé un sentiment étrange, comme lorsqu'on sent que quelque chose d'important va arriver et qu'après votre vie ne sera plus jamais la même.

Elle m'a parlé de ses grossesses, des huit années à espérer l'arrivée d'un enfant - finalement elle en avait eu quatre -, des contractions qu'elle avait quand elle m'attendait, de cet alitement imposé et finalement de ce médicament prescrit afin que son corps puisse me garder. Il s'agissait d'une hormone appelée diéthylstilbestrol et commercialisée sous le nom de Distilbène. 
J'entendais ce nom pour la première fois. 
Elle a ensuite sorti un petit article qu'elle avait découpé dans un journal. C'était une sorte d'avertissement, un peu comme lorsqu'on rappelle un produit ménager parce qu'il y a un risque pour l'utilisateur. Sauf qu'il n'y était question ni d'un réfrigérateur ni d'une voiture mais d'enfants comme moi.

Les filles DES 


Il était écrit que les femmes qui avaient reçu du Distilbène pendant leur grossesse devaient informer leurs enfants, à l'époque il n'était question que des filles, des risques sanitaires encourus.  Le style était froid et clinique. Le vocabulaire employé cru et pragmatique : malformation génitale, stérilité, grossesse extra-utérine, fausse couche, cancer du col de l'utérus, de l'utérus, du vagin, accouchements prématurés.  J'ai vu les lettres danser sous mes yeux, j'ai souri à ma mère, j'ai fait comme si de rien était, j'ai dit que j'allais prendre rendez-vous avec mon gynéco et j'ai parlé d'autre chose.
En un instant j'étais devenue une fille DES.

Un bébé Distilbène


J'ai longtemps été convaincue de ma stérilité. Et j'avais quasiment fait le deuil d'une grossesse lorsqu'à l'âge de 34 ans, j'ai eu la surprise d'attendre mon premier enfant. 
Je n'étais donc pas inféconde.
J'ai eu deux enfants, j'en ai perdu un pour des raisons que j'ignore, la nature a-t-elle fait son travail ou est-ce une des conséquences du Distilbène ? Je ne l'ai jamais su mais à l'hôpital où l'on m'a fait le curetage, j'ai rappelé aux médecins que j'étais une fille DES, un bébé Distilbène.

Une fille du Distilbène


Depuis que je sais, c'est comme si cette appellation me collait à la peau, elle a été inscrite sur tous mes dossiers médicaux, gynécologue, généraliste, endocrinologue, maternité. Et même si je n'ai pas de malformation génitale, que j'ai eu deux grossesses normales pendant lesquelles je n'ai pris aucun médicament, deux beaux enfants et que je n'ai déclenché aucun des cancers dont il était question dans l'article que ma mère avait découpé, elle est inscrite dans mon corps et dans mon cerveau.


Une étude récente vient de révéler que les filles DES encouraient un risque de cancer du sein doublé par rapport à la moyenne des femmes et qu'il pouvait exister des conséquences sur la troisième génération (issue des filles DES).
Environ 200 actions en justice connues ont été intentées contre les deux laboratoires fabricants UCB Pharma et Novartis. 
Si le Distilbène est encore autorisé aujourd'hui en France, c'est seulement dans le traitement du cancer de la prostate.
J'ai de la chance : je n'ai pas de prostate.

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